Entre février et mai 2020, plus de huit cent patients ont participé à une enquête en ligne sur l’utilisation des benzodiazépines et des médicaments apparentés dans le cadre des troubles du sommeil. La majorité des patients signalent des durées d’utilisation nettement supérieures à celles recommandées et plus d'un patient sur trois montre des signes de dépendance psychologique au traitement.
Les troubles du sommeil, en particulier l’insomnie, sont très répandus dans la population. Les alternatives non pharmacologiques (autres que des médicaments) sont recommandées comme traitement de première ligne de l’insomnie chronique chez les adultes. Cependant, de nombreux patients privilégient les somnifères en raison de leur effet rapide.
Les benzodiazépines et médicaments apparentés sont les médicaments les plus couramment utilisés contre l’insomnie. Ces médicaments sont considérés comme efficaces lorsqu’ils sont utilisés de manière rationnelle, à dose minimale et durant un temps limité (moins d’un mois).
Néanmoins, même lorsqu’ils sont utilisés correctement, ces médicaments comportent des risques et certains effets indésirables peuvent apparaitre : troubles cognitifs, risques de chute, somnolence diurne, accoutumance voire dépendance.
Pour obtenir des données sur l’utilisation de ces somnifères par les patients et évaluer le mésusage et le niveau d’attachement à ces médicaments, l’AFMPS a mené une enquête auprès des patients entre février et mai 2020.
Cette enquête a révélé certains éléments inquiétants.
- La plupart des patients utilisent des somnifères depuis plus d’un an
92 % des patients sont des utilisateurs à long terme (1 mois d'utilisation ou plus) et 84 % des utilisateurs à très long terme (6 mois d'utilisation ou plus).
Parmi les patients âgés (65 ans et plus), 84 % utilisent un somnifère depuis plus d'un an, contre 72 % dans les groupes d'âges plus jeunes.
80 % des patients déclarent une utilisation quotidienne ou régulière (au moins une fois par semaine) à long terme et 73 % déclarent une utilisation quotidienne ou régulière à très long terme.
La majorité des patients se trouvent donc en situation de mésusage. - Signes de dépendance psychologique au traitement pour plus d’un tiers des patients
En se basant sur l’échelle de sévérité de dépendance (Severity of Dependence Scale, SDS)1, 38 % des patients montrent des signes de dépendance psychologique à leur traitement. Cela concerne 43 % d’hommes contre 36 % de femmes. Il n’y a pas de différences significatives entre les groupes d’âges.
Par ailleurs, 75 % des patients ont souhaité arrêter le traitement, 67 % ont déjà essayé d’arrêter et 46 % trouveraient très difficile voire impossible de l’arrêter.
Cependant, 40 % des patients ne se sont jamais inquiétés de leur consommation de somnifères. - La majorité des patients ont essayé des méthodes alternatives
Plus de 60 % des patients ont essayé les méthodes alternatives suivantes : hygiène de sommeil, phytothérapie (médicaments à base de plantes), homéopathie ou compléments alimentaires.
La thérapie ou le soutien des proches ont été mentionnés par près de 20 % des patients. - Le zolpidem comme somnifère principal
Près de la moitié des patients (48 %) utilisent le zolpidem comme somnifère. Le lormetazepam (23 %) et le lorazepam (12 %) sont les seuls autres produits mentionnés par plus de 10 % des patients. - Dose quotidienne inquiétante pour certains patients
Si la prise de dose supérieure à celle recommandée ne concerne qu’une minorité de patients (16 %), 5 % de ceux-ci déclarent prendre plus du double de la dose recommandée. Par ailleurs, deux utilisateurs de zolpidem et un utilisateur de zopiclone ont déclaré une dose quotidienne plus de dix fois supérieure à la dose recommandée.
On constate un pourcentage plus élevé de prise de doses supérieures à celles recommandées dans les groupes d'âges plus jeunes (< 65 ans) : 17 % contre 12 % pour les patients de 65 ans ou plus.
Les hommes déclarent plus de prises de doses supérieures à celles recommandées que les femmes : 23 % contre 12 %.
Conclusions
Si les résultats de cette enquête ne peuvent pas être extrapolés à l'ensemble de la population qui consomme ces médicaments, ils indiquent quelques points d'attention clairs. L’enquête montre en effet que les recommandations sur la durée de traitement ne sont suivies ni par les patients, ni par les professionnels de santé qui continuent à prescrire ces médicaments sur le long terme. Pourtant, un usage chronique est déconseillé en raison du risque accru de tolérance, de dépendance et d’abus.
De plus, les résultats sont conformes aux observations d'autres pays sur la tendance à prescrire les « z-drugs » (en particulier le zolpidem) à la place des benzodiazépines. Différentes études2 ont montré que de nombreux professionnels de la santé perçoivent toujours les « z-drugs » comme plus efficaces et plus sûrs que les benzodiazépines. Cependant, il n’y a pas à ce jour de preuves convaincantes que ces produits provoquent moins d’effets indésirables ou de dépendance.
L’AFMPS rappelle que les benzodiazépines et les « z-drugs » peuvent induire, entre autres, des troubles du système nerveux (somnolence, amnésie antérograde …), des troubles psychiatriques (comportement anormal, hallucinations, somnambulisme …) et augmenter les risques de chute chez les personnes âgées.
Comment prévenir les abus et les dépendances ?
L’AFMPS encourage les professionnels de santé à discuter de ces risques avec leurs patients avant de prescrire un tel somnifère. L’AFMPS conseille également de prévoir une consultation de suivi après une semaine pour discuter avec le patient de l'efficacité du traitement et des effets indésirables éventuels.
En prescrivant des boîtes de benzodiazépines, ou médicaments apparentés, plus petites (moins de trente comprimés), les professionnels de la santé encouragent également les patients à consulter à nouveau s'ils ressentent le besoin de poursuivre leur traitement.
L’AFMPS rappelle qu’un manuel d’aide en ligne a été développé en 2018 dans le cadre de la campagne « Somnifères & calmants, pensez d’abord aux autres solutions » coordonnée par le SPF Santé Publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement. Celui-ci a pour but d’aider les médecins et les pharmaciens à mieux prendre en charge les patients qui se plaignent de troubles du sommeil.
Les professionnels de la santé peuvent également se référer à la ligne directrice evidence based « Prise en charge des problèmes de sommeil et de l’insomnie chez l’adulte en première ligne » et à la Fiche de Transparence de la prise en charge de l’insomnie.
La déprescription de somnifères doit être envisagée pour tous les utilisateurs chroniques, surtout s'ils ont 65 ans et plus. L'enquête a montré que la plupart des patients sont favorables à l'arrêt du traitement. Le manuel d’aide fournit des outils pour aider les patients à interrompre leur traitement.
Enfin, l'AFMPS rappelle également que la réglementation en matière de pharmacovigilance encourage la déclaration des cas d'abus et de dépendance aux médicaments. La définition de la notion d'effet indésirable a été élargie pour inclure les réactions nocives et non intentionnelles résultant de l'utilisation d'un médicament en dehors des termes de l'autorisation de mise sur le marché, par exemple à la suite d'une utilisation abusive.
Plus sur l’enquête de l’AFMPS
L’AFMPS a mené l’enquête de février à mai 2020. L’objectif principal de cette enquête était d'obtenir des données sur l’utilisation, par les patients non-institutionnalisés, des benzodiazépines et médicaments apparentés dans le cadre des troubles du sommeil. L’AFMPS a souhaité également évaluer le mésusage et le niveau de dépendance à ces médicaments. Les patients non-institutionnalisés de dix-huit ans ou plus, utilisant au moins un des médicaments concernés, ont été invités à participer à l’enquête par leur pharmacien d’officine ou via différents canaux de communication, sur base volontaire et anonyme.
Au total, 808 patients ont répondu à l’enquête et l’analyse principale est basée sur 466 réponses complètes. L’âge moyen des répondants est de 55 ans et 63 % sont de sexe féminin. Seuls 8 patients dans la tranche d'âge la plus jeune (18-24 ans) ont participé à l'enquête.
L’AFMPS remercie les patients qui ont participé à l’enquête, ainsi que les pharmaciens d’officine et les différents partenaires qui y ont collaboré.
1 De Las Cuevas, C., Sanz, E. J., De La Fuente, J. A., Padilla, J. & Berenguer, J. C. The Severity of Dependence Scale (SDS) as screening test for benzodiazepine dependence: SDS validation study. Addiction 95, 245–250 (2003).
2 Heinemann, S., Brockmöller, J., Hagmayer, Y. et al. Why Z-drugs are used even if doctors and nurses feel unable to judge their benefits and risks—a hospital survey. Eur J Clin Pharmacol 76, (2020): 285–290 https://doi.org/10.1007/s00228-019-02783-1
Hoffmann F Perceptions of German GPs on benefits and risks of benzodiazepines and Z-drugs. Swiss Med Wkly 143 (2013):w13745. https://doi.org/10.4414/smw.2013.13745
Siriwardena AN, Qureshi Z, Gibson S, Collier S, Latham M. GPs' attitudes to benzodiazepine and 'Z-drug' prescribing: a barrier to implementation of evidence and guidance on hypnotics. Br J Gen Pract.56, 533 (2006):964-967.